Droits de succession et d'enregistrement après la nouvelle disposition anti-abus

Dans l'une de nos contributions antérieures consacrée à l'acquisition scindée de l'usufruit et de la nue-propriété, nous nous interrogions sur la position qu'adopterait l'administration. Cette dernière a levé le voile sur son interprétation de l'abus fiscal en matière d'enregistrement et de succession dans une circulaire du 19 juillet.

Abus fiscal

Les nouvelles dispositions anti-abus qui visent à la fois l'impôt sur les revenus et les droits d'enregistrement et de succession ont déjà fait couler beaucoup d'encre. En résumé, le fisc entend lutter contre l'abus fiscal. Un acte juridique qui constitue un "abus fiscal" n'est pas opposable à l'administration. En d'autres termes, le fisc est en droit d'ignorer cet acte et de vous taxer comme s'il n'avait jamais eu lieu.

Mais quand est-il précisément question d'abus fiscal? Dans une nouvelle circulaire, l'administration fait part de son point de vue concernant l'abus fiscal en matière de droits d'enregistrement et de succession.

Opérations encore autorisées

D'abord la bonne nouvelle : une série d'opérations sont, en soi, toujours autorisées par l'administration et ne sont, par conséquent, en principe pas cataloguées comme abus fiscal. Du moins dans la mesure où elles ne font pas partie d'un montage fiscal plus large.

Quelques mots d'explication 

Donnation par acte passé devant un notaire

Cette opération présente l'avantage de satisfaire à l'obligation légale d'établir un acte notarié authentique - qui acquiert, par ailleurs, date fixe - sans que ne soient dus des droits de donation. Pareil acte est généralement passé devant un notaire néerlandais.

Donation échelonnée de biens immeubles

Cette opération consiste à faire don d'un bien immeuble non pas en une fois mais de manière échelonnée afin d'éviter la progressivité des taux. Il est moins coûteux de recourir à deux donations de 100.000 EUR chacune que de faire un seul don de 200.000 EUR. Les donations successives doivent intervenir moyennant respect de périodes intermédiaires supérieures à 3 ans. Dans le cas contraire, elles sont considérées comme constituant une donation unique.

Testament avec "generation skipping"

Dans le cadre de cette opération, la totalité du patrimoine de la personne concernée est directement léguée aux petits-enfants (sans passer par les enfants). Dans la plupart des cas, pareille opération implique une plus grande dispersion de la succession. En outre, le patrimoine ne fait l'objet que d'un seul legs, de sorte que les droits de succession ne sont payés qu'une seule fois.

Testament-célibataire sans enfant

Il est recouru à ce type de testament lorsque le testateur n'a ni conjoint ni enfant(s) mais qu'il existe encore parmi les héritiers légaux un parent ainsi que des frères et/ou soeurs. Lorsque, dans pareille situation, aucun testament n'est rédigé, seul un quart sera échu au parent selon la dévolution légale, le reste revenant aux frères et soeurs (au tarif supérieur en ligne collatérale). Le "testament-célibataire sans enfant" devra mentionner que la totalité du patrimoine est échue au parent. Cette opération vise, dans la plupart des cas, à transmettre la succession en deux fois (d'abord enfant-parent, et ensuite parent- autres enfants, donc deux fois au tarif en ligne directe).

Legs de duo

Dans un legs de duo, le légataire lègue une partie déterminée de sa succession à une ASBL ou une fondation imposée au tarif préférentiel de l'article 59 du C. Succ. (8,8%), à charge pour cette dernière de payer les droits de succession dus par les autres héritiers (soumis à un tarif plus élevé et progressif). Le legs de duo n'est toutefois admis que s'il en résulte, après calcul de la charge, un "avantage net substantiel" pour l'association. Exemple : vous léguez à votre neveu une somme de 200.000 EUR - si vous n'avez rien planifié, il devra payer sur ce montant 110.000 EUR de frais de succession et ne touchera que 90.000 EUR nets. Le legs de duo vous permet de scinder la somme de 200.000 EUR en une donation de 129.000 EUR en faveur de votre neveu et de 71.000 EUR au profit d'une ASBL. L'ASBL paie 8,8% de frais de succession sur ces 71.000 EUR (= 6.248 EUR) + les frais de succession dus par votre neveu sur les 129.000 EUR qui lui sont échus (= 63.850 EUR). Au total, elle paiera donc 70.098 EUR et ne touchera que 902 EUR. Votre neveu percevra toutefois intégralement les 129.000 qui lui ont été légués. Dans le cas de cet exemple, on peut toutefois se demander si l'ASBL qui ne perçoit que 902 EUR tire bien un avantage substantiel de ce legs. 

Autres opérations encore autorisées :

donation effectuée par don manuel ou virement bancaire;

donation avec charge;

donation sous condition résolutoire;

donation par les grands-parents aux enfants et/ou aux petits-enfants;

donation avec réserve d'usufruit ou d'un autre droit viager;

donation soumise à un droit d'enregistrement réduit;

donation jouissant d'une exonération prévue dans le code des droits d'enregistrement;

clauses de tontine et d'accroissement;

testament avec profit maximal de régimes préférentiels.

Opérations désormais interdites

Quelques mots d'explication

Clauses mortuaires

La clause mortuaire est un acte qui prévoit l'attribution de la totalité du patrimoine commun à l'un des conjoints, indépendamment de la cause de dissolution du régime matrimonial, afin d'échapper au paiement de droits de succession. Il est généralement recouru à cette clause lorsque l'un des époux est atteint d'une maladie grave.

Acquisition scindée de l'usufruit et de la nue-propriété

Cette pratique a déjà été abordée plus en détail dans l'une de nos précédentes contributions. Il s'agit de l'acquisition commune d'un même bien immeuble par les parents et les enfants. Les parents acquièrent l'usufruit et les enfants la nue-propriété. Comme l'usufruit s'éteint au décès des parents, les enfants acquièrent automatiquement la pleine propriété. Cette technique pose surtout problème lorsque les enfants financent leur achat au moyen de fonds issus d'une donation par les parents. Lors du décès des parents, le fisc partira du principe que les parents ont acquis le bien en pleine propriété (et pas uniquement l'usufruit), de sorte que le bien fera intégralement partie de la succession.

Testament "Ik opa"

Dans un testament "Ik-opa", le grand-parent désigne ses enfants comme légataires universels, à charge pour ces derniers de reconnaître une dette envers leurs propres enfants. La charge des enfants envers les petits-enfants consiste à payer une somme exprimée en valeur au comptant à la date du décès du grand-parent, contrairement au legs avec charge à terme, où la charge consiste à payer un montant nominal. La valeur au comptant, au jour du décès du grand-parent, correspond à la valeur escomptée du montant qui devra être payé au petit-enfant au décès de l'enfant. Tel qu'il résulte de ce qui précède, les petits-enfants pourront réclamer la valeur nominale de la charge (pleine propriété) lors du décès de leur parent mais ne seront taxés que sur la valeur au comptant de la charge (nue-propriété). Le montant qu'ils recevront sera donc plus élevé que le montant sur lequel ils paieront des droits.

Autres opérations "interdites"

construction emphytéose : acquisition scindée d'un bien immeuble par des sociétés liées (atteinte à l'art. 44 C. Enr.);

apport de biens par un époux dans la communauté, suivi par une donation faite par les deux époux, pour autant qu'il y ait unité d'intention;

sortie de biens meubles de la communauté, suivie par une donation mutuelle des époux, souvent sous condition résolutoire pour la donation faite au premier défunt : lors du décès du premier conjoint, le survivant dispose de la totalité du patrimoine sans être redevable d'aucun droit de succession.

Attention!

Les listes qui précèdent ne sont pas limitatives. Les opérations qui n'y sont pas reprises ne sont pas a priori autorisées ou interdites. Il importe donc de prendre en compte l'ensemble des faits concrets.

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